Comptes rendus | Cairn.info (2024)

1Deux cent quarante-neuf auteurs avaient participé à la première édition de ce monument (1995). La seconde a bénéficié du renfort de quarante-deux «nouveaux». Moins de 6% du total n’appartiennent pas à la galaxie culturelle anglo-saxonne. Le nombre d’entrées a augmenté de300. Ted Honderich signe une substantielle préface qui énonce et justifie ce qu’il appelle «the brave, large, aim of this book», rien de moins que «to bring philosophy together between two covers better than ever before». On trouvera d’abord les grands philosophes reconnus, ceux du panthéon. Ils sont peut-être une vingtaine. Treize noms sont mentionnés, dont un avec un adjectif, «the blessed Hume», qui bénéficie d’une longue notice (403-407). Généreusem*nt traités sont aussi Platon, Aristote, Thomas d’Aquin, Hobbes (393-96), Descartes, Spinoza, Leibniz, Locke (525-28), Berkeley (91-94), Kant, Nietzsche. S’agissant d’une histoire de la philosophie en langue anglaise, comprenant des penseurs anglais et américains, on trouve aussi John Stuart Mill, Charles Sanders Peirce, Bertrand Russell, Ludwig Wittgenstein, Jonathan Edwards, Thomas Reid, William James, F.H. Bradley. Pour quitter la langue anglaise, on rencontrera Simone de Beauvoir, Henri Bergson, Auguste Comte, J.H.Fichte, Jürgen Habermas, Karl Jaspers, et d’autres. Et puis des entrées correspondant aux philosophies nationales, australienne, croatienne, japonaise, russe, etc. Quatrième caractéristique: 150 entrées sont consacrées à des philosophes contemporains, pour la plupart américains et britanniques.

2Une autre façon de considérer le sujet est de le traiter non par référence à des auteurs particuliers, mais en termes d’idées, de théories, de doctrines, de visions du monde, d’écoles, de mouvements, de traditions. L’ouvrage, de ce fait, met en évidence la philosophie contemporaine par rapport à la composante historique de tel ou tel sujet. Le volume propose un long «essai» sur chacun de la douzaine des champs reconnus et convenus de la philosophie: les signataires, dit le préfacier, ne sont pas des novices en la matière traitée et il souligne les croisem*nts entre essais substantiels et notices «mineures». Le livre s’adresse à tous ceux qui veulent des avis éclairés, autorisés, donnés par de bons juges, au public cultivé et curieux, aux scrupuleux et aux exigeants, aux professionnels et aux autres, à ceux pour qui lire est rêver, survoler, satisfaire la curiosité, passer de l’arthrose à la hanche à Thrasymaque, de Baudrillard aux objets vagues. Livre de référence et d’étude, compagnon d’otium autant que de negotium. Il s’agit de donner au lecteur une idée, un sentiment de ce qu’il en est actuellement de l’entreprise-aventure philosophique, de sa vigueur, de sa jeunesse, qui sont intactes, car seules les sciences et les superstitions apparaissent et disparaissent. Le maître d’ouvrage s’explique et se justifie sur les ajouts et modifications intervenus entre première et seconde éditions. Non sans humour ni quelque satisfaction quant à la méthode suivie (concertation avec une trentaine de philosophes de toutes obédiences pour donner une image représentative de la philosophie en ce début de millénaire) et aux choix opérés, bona fide. Et d’invoquer, pour les recalés et les oubliés, «David Hume, saint David (sic), the greatest of British philosophers» (sic encore). «He did not get elected to professorships at Edinburgh and Glasgow», distinctions qui échurent à de moins grands, restés moins connus.

3Cheminements faits et parcours réitérés, au gré des bifurcations et branchements (voir l’entrée Enlightenment), de cet arbre généalogique de la pensée universelle et anglophone, au gré des courbes et des méandres, le lecteur apprécie, de abandonment (Sartre) à zoroastrianism (Bayle, Nietzsche), en passant par abortion, bioethics, cloning, euthanasia, globalisation, neuroscience, respect, terrorism, le souci de couvrir le champ contemporain en maintenant une préoccupation historique permanente. La biographie des philosophes est opportunément rappelée (Bentham, Blanshard, Buber, Freud, William James, Whitehead, etc.); l’étude des courants majeurs est fouillée (Marx et les avatars du marxisme, utilitarianism, utopianism); la problématique contemporaine est articulée à une fiche historique nourrie (education, philosophy of science, moral philosophy, etc.); de courtes notices rappellent l’importance historique de certaines questions (enthusiasm, sympathy); certains concepts-thèmes font l’objet de pénétrantes analyses (fear, passion and emotion, power) montrant bien l’évolution et les déplacements de champs référentiels. Dans le même souci de complémentarité, on trouvera plusieurs signatures pour une seule entrée (God, ce qui est bien compréhensible… ou encore la métaphore du maître et de l’esclave); si telle ou telle notice est agrémentée d’humour, certaines ne se privent pas d’être polémiques. Une encyclopédie en anglais, principalement pour et par des anglophones, explique que soient traités des domaines privilégiés, «à la maison» pour ainsi dire: English philosophy, Scottish philosophy, Cambridge philosophy, London philosophy, Oxford philosophy qui permettent de bien mettre en perspective contextes, filiations, ruptures, traditions (voir le long article de sir Anthony Quinton, 247-52, qui invite le lecteur à se demander si c’est d’un monument, d’un musée ou d’un mausolée qu’il s’agit: tout cela et bien plus que cela puisque, comme nous le rappelle Hamlet (632) il y a beaucoup plus de choses dans la nature, etc.

4Ces richesses autorisent des regrets qui ne procèdent pas de l’ingratitude, mais qui sont subjectifs. Tout lecteur a les siens et y a droit, même si les dire confine à parler de soi. Au hasard des «oublis», manquent Herbert Read et sa philosophie de l’art, des noms dans les domaines de la réflexion pédagogique ou de la philosophie politique du xxesiècle; Donne n’est pas mentionné à l’article «suicide», Gould est absent de la notice time’s arrow, Patocka et Simmel attendront la prochaine édition; d’autres aussi sans doute, selon l’épreuve du temps, et qui sont pour le moment dans l’antichambre de la mémoire-reconnaissance et du temps. On ne peut tout inclure. Dans une recension non plus.

5Cet admirable ouvrage de référence est servi par des cartes de la philosophie, terra cognita, qui permettent, dans la grande tradition de la représentation, du centre à la périphérie, de dresser l’inventaire systématique et raisonné du savoir du savoir, par des tables chronologiques, des tables d’illustrations et des index alphabétiques. La Grande Tradition. — Louis Roux (Université de Saint-Étienne).

6Dès la préface, ce recueil d’essais se présente comme une réponse à la critique shakespearienne prépondérante, selon l’auteur, ces dernières années: le néo-historicisme (aux États-Unis) et le matérialisme culturel (en Grande-Bretagne). Trois des neuf articles qui constituent l’ouvrage remettent en cause les méthodes de la critique appelée par T.McAlindon «radicale», ou encore post-moderne; les quatre autres essais sont des interprétations de pièces de Shakespeare (Henry V, Henry IV, King Lear, Coriolanus, The Tempest) et le dernier chapitre est consacré à une lecture du Dr Faustus de Marlowe.

7Dans le premier chapitre, l’auteur se démarque nettement de la tradition critique prédominante, selon lui, depuis les années 1980, dans les études shakespeariennes: déconstruction, marxisme, néo-historicisme, matérialisme culturel. T.McAlindon se situe dans un courant qu’il nomme lui-même traditionnel, et revendique une conception du sujet unifié, autonome, par opposition à un sujet qui, selon M.Foucault repris par S.Greenblatt, ne serait que le produit idéologique de relations de pouvoir d’une société déterminée. Dans le deuxième chapitre, T.McAlindon remet directement en cause les méthodes d’analyse de celui qu’il considère comme l’un des fondateurs du néo-historicisme, S.Greenblatt. Selon lui, l’utilisation biaisée faite par S.Greenblatt des textes de Machiavel et de Thomas Harman invalide le propos de l’auteur de Invisible Bullets. Dans le chapitre trois, intitulé «War and Peace in Henry V», T.McAlindon montre comment Shakespeare met en scène un ordre du monde conçu comme un système dynamique d’oppositions qui interagissent et parfois s’échangent, héritage de la discordia concors de l’Antiquité. Au niveau stylistique, cela se reflète dans les nombreux oxymores, paradoxes, chiasmes, antithèses qui émaillent la pièce. Henry V lui-même serait l’incarnation de cette dualité, un paradoxe vivant, une figure d’unité qui réconcilie les contraires.

8Dans le chapitre quatre, consacré à Henry IV, T.McAlindon se concentre sur le personnage comique de Falstaff, inspiré de l’hagiographie protestante autour de la figure historique de sir John Oldcastle, le premier lord Cobham, défenseur des doctrines de Wycliff durant le xivesiècle. Le chapitre cinq se tourne vers le matérialisme culturel britannique, en particulier l’étude de Jonathan Dollimore, Radical Tragedy. Pour l’auteur, l’approche critique anti-essentialiste de J.Dollimore repose sur une lecture partielle, réductrice et erronée de certains textes de Montaigne, More, Castiglione, Machiavel, Bacon et Hobbes. Prenant le contrepied de J.Dollimore, l’auteur insiste sur la place du stoïcisme dans King Lear. Le chapitre six est une tentative de définition de la tragédie shakespearienne, dont l’une des particularités est l’inclusion d’éléments comiques; l’auteur s’appuie sur les diverses sources de la tragédie élisabéthaine (Sénèque; John Lydgate et The Fall of Princes; The Mirror for Magistrates).

9Le chapitre sept est consacré à Coriolanus, que l’auteur perçoit comme une «tragédie essentialiste», dont les contradictions et les conflits articulés autour du couple Mars/Vénus, à l’instar de nombreuses autres tragédies de Shakespeare, ne seraient que le reflet d’une vision de la nature héritée d’Empédocle. Dans le chapitre huit sur The Tempest, l’auteur, rejetant une lecture «colonialiste», met en lumière une dialectique de la malédiction et de la bénédiction qui parcourt la pièce. Dans le dernier chapitre consacré au Doctor Faustus de C.Marlowe, T.Mc Alindon, s’opposant à nouveau à S.Greenblatt, voit dans la théâtralité spécifique de cette pièce une dramatisation du lien entre l’acteur et le diable et fonde son interprétation sur l’analyse du motif récurrent de la vision.

10On peut regretter que cet ouvrage se résume à une succession d’articles et ne forme pas un tout cohérent. Il ne s’en dégage pas une problématique claire; tout au plus peut-on déceler un fil directeur constitué par les attaques répétées, et parfois assez convaincantes, visant le néo-historicisme et le matérialisme culturel. L’absence d’une conclusion récapitulative est à déplorer. Dans le détail, les chapitres proposant une interprétation des pièces sont un peu décevants car l’auteur semble plus préoccupé par son entreprise de remise en cause de la critique post-moderne que par une volonté de promouvoir une approche critique personnelle novatrice et originale. — Laetitia Coussem*nt-Boillot (Université de Paris VII).

11«Dryden vivait en osmose avec l’Antiquité» écrit à juste titre Angiola Maria Volpi qui témoigne elle-même d’une grande familiarité avec de multiples auteurs grecs et surtout latins et qui inscrit sa recherche (une thèse de doctorat d’État soutenue à ParisIV en 2002) dans un courant de la critique drydenienne particulièrement fécond au cours des années récentes. C’est la première partie de l’ouvrage, «La parole et l’action: d’Annus Mirabilis à la satire», qui est la plus originale et la plus convaincante. Dans la lettre-préface qui introduit Annus Mirabilis, le poète affiche sa dette envers Virgile, mais il est ici indiscutablement montré que certains des échos qui se disséminent dans ce «poème historique» ne proviennent pas de la seule Énéide, mais aussi de l’œuvre de Silius Italicus, un épigone de Virgile dont l’épopée Punica est elle-même nourrie de l’Énéide. Les écrits de Lucien sur le thème de l’éloquence pervertie servent à leur tour d’analogues intéressants à Absalom and Achitophel, mais c’est surtout le côté aristophanesque de Mac Flecknoe qui est heureusem*nt souligné. Le renvoi au comique grec est d’autant mieux venu que la théâtralité est au cœur de la géniale satire de Dryden. Dans la deuxième partie de son ouvrage Volpi étudie les affinités entre les œuvres de Pindare et de deux de ses admirateurs latins, Horace et Prudence, d’une part, et, d’autre part, deux des grandes odes du poète anglais, Alexander’s Feast et To the Pious Memory of the Accomplisht Young Lady Mrs Anne Killigrew. Même s’ils sont moins novateurs, ces rapprochements n’en demeurent pas moins stimulants. La troisième partie intitulée «Création et tradition» porte d’abord sur l’influence juvénalienne. Les investigations débordent même le cadre strict des écrits de Dryden pour envisager plusieurs traductions des satires de Juvénal dont il n’est pas l’auteur et pour prendre en considération la deuxième partie d’Absalom and Achitophel, sans jamais d’ailleurs citer les vers traditionnellement attribués au Poète Lauréat. L’exploration entreprise par Volpi dans sa recherche, qui exige une très solide culture classique, permet de mieux saisir dans leur globalité les œuvres de Dryden, mais également de jeter une lumière plus vive sur un ensemble de détails qui acquièrent une signification plus riche et même nouvelle. Ainsi, par-delà les analogies et convergences générales, les comparaisons conduisent à des commentaires éclairants sur des points ponctuels. Par exemple prennent un relief particulier le serment d’Hannibal évoqué dans Mac Flecknoe, le double titre d’Absalom and Achitophel, le sens de «fate» dans l’ode à Mrs Killigrew, la latinisation du nom Blackmore. Sont aussi relevés des échos de Juvénal dans le poème adressé par Dryden à son cousin John Driden of Chesterton ou le côté juvénalien de plusieurs passages de The Hind and the Panther, etc. Les analyses stylistiques développées surtout dans la troisième partie auraient toutefois dû être menées avec plus de rigueur. Oxymores et chiasmes ne sont pas toujours correctement identifiés. Il en va de même des allitérations d’autant que se glisse parfois une confusion entre écrit et oral. Si Volpi a en général le bon goût de définir les termes savants qu’elle emploie (tels que épinicie ou propentique), son style est cependant trop souvent entaché par l’irruption brutale d’un terme anglais comme par un goût immodéré pour les phrases longues, même très longues, entrecoupées de multiples incises et citations au risque d’irriter et même de perdre le lecteur. Ce travail d’envergure aurait mérité d’être publié dans une version raccourcie et réécrite. — Albert Poyet (Université de Toulouse II).

12Qui connaît les travaux de François Piquet sera d’abord surpris par l’absence de toute étude sur Blake (parfois mentionné) et par la présence d’un seul article sur un romantique anglais; mais cet hommage, qui s’adresse au professeur et au collègue comme au brillant critique, entend refléter la diversité de ses centres d’intérêt. Le volume s’ouvre sur l’impeccable traduction par Paul Bensimon d’un poème, Father Mat, où Patrick Kavannah associe l’inspiration satirique et le sentiment élégiaque. Henry Suhamy remonte à la Renaissance et parcourt les siècles pour démontrer que les deux structures fondamentales de la versification anglaise, le mètre et le rythme, ont subsisté sous de nouvelles apparences. Élisabeth Soubrenie cite Blake pour justifier la vision de la nature comme «un vaste jeu de caractères» dont l’origine est divine, soulignant la prédominance de cette vision au xviie siècle chez Donne, George Herbert, Joseph Hall, Samuel Person; mais «l’origine métaphysique de la question des caractères» ne doit point masquer l’importance de leur fondement physio-psychologique, notamment au théâtre. C’est sur l’esthétique du théâtre comique anglais à la fin du xviiesiècle, sa dimension spéculaire et son évolution que Natalie Mandon offre une enquête nourrie. Serge Soupel survole le xviiiesiècle pour y mettre en évidence des balancements entre rupture et continuité. Anne Dromart s’attache au personnage de Gulliver pour analyser sa prise de conscience progressive de sa rupture avec son monde d’origine. Alain Morvan analyse subtilement les «changements constants d’angle» qui rendent la satire swiftienne complexe et multidirectionnelle dans le Quatrième Voyage de Gulliver. Pour Pierre Morère, l’Essai sur les Miracles de Hume «s’inscrit dans une double rupture, tant avec le christianisme qu’avec l’empirisme de Locke pour ce qui concerne la religion tout au moins». Jean Raimond met en parallèle les premiers poèmes révolutionnaires de Southey et les productions officielles du poète-lauréat, mais observe que, malgré la rupture idéologique, la défense d’une patrie menacée et la quête d’une liberté perdue demeurent des sujets constants, assurant «une continuité thématique à résonance morale». Annick Duperray s’inspire des thèses de Lacan et de ses jeux de langage pour analyser comment l’héroïne de Henry James dans Portrait of a Lady accède au «statut de Sujet doté de maîtrise». À travers le roman de Mrs Ward, Robert Elsmere, Françoise Pétiard-Lianos présente le dilemme typiquement victorien d’un pasteur anglican qui perd la foi. Marie-Agnès Gray explore attentivement une «ambivalence radicale» dans le Billy Budd de Melville et montre comment l’ambiguïté du roman disparaît en partie dans l’opéra de Benjamin Britten. Daniel Royot présente les réponses de Mark Twain à «l’anti-américanisme» des Français, mais les répliques de l’humoriste paraissent non moins excessives et simplistes. Dans son examen rigoureusem*nt lacanien d’un roman de William Styron, Sophie’s Choice, Patrick Badonnel observe l’oscillation du désir entre les deux pôles de la mégalomanie et de la paranoïa, concluant que la pulsion de mort permet seule de résoudre «dans l’unicité éphémère d’un “Nous deux” cet absolu du manque à être». Non moins lacanienne en sa démarche, Claire Majola-Leblond décèle dans une nouvelle de Dylan Thomas, «Just Like Little Dogs», les «complexes relations que le soi entretient avec lui-même et l’autre». Florence Labaune-Demeule narre un peu longuement les errances de Willie dans Half a Life, mais offre une étude intéressante d’une intertextualité particulière à Naipaul qui crée une continuité thématique profonde. Pierre J.L. Arnaud passe en revue les noms composés dans la terminologie navale anglaise pour faire apparaître la visibilité nécessaire des composants dans les entités lexicales. Nadine André examine les changements intervenus lors du renouvellement de la charte de la Compagnie des Indes en 1853. Tout au long du volume, assurant une certaine unité grâce à leur valeur abstraite et générale, les notions de rupture et de continuité sont étroitement associés. — Robert Ellrodt (Université de Paris III).

13Voici un ouvrage interdisciplinaire très bienvenu, même si l’introduction et la postface déçoivent: l’introduction — diffuse — due aux responsables du volume ne parvient pas à proposer une synthèse faisant ressortir les liens qui existent entre la Révolution anglaise et la réception de la Révolution française en Angleterre; la postface de Paul Hamilton convoque une bonne partie de la philosophie occidentale depuis Aristote pour (entre autres choses) théoriser les notions de res publica et de république, d’une manière qui reste floue et passablement éloignée des études détaillées et précises qui constituent le corps de l’ouvrage.

14La première partie de celui-ci, intitulée «From Revolution», comprend cinq articles centrés sur la postérité des valeurs de la Révolution anglaise au xviiiesiècle. On y lit successivement des analyses de Justin Champion, Nigel Smith, Timothy Morton, Donald John et Jane Shaw qui explorent des aspects essentiels (Milton et Blake; le rôle modérateur de la Révolution de 1689, entre celles de 1649 et de 1789) ou plus marginaux (prosélytisme végétarien; jeûne de prophétesses) du sujet. Peut-être Timothy Morton se laisse-t-il emporter par l’enthousiasme lorsqu’il déclare, à la page65: «Vegetarianism rewrote Civil War radicalism». La seconde partie comporte également cinq articles, centrés sur le parallèle fait, au xviiiesiècle, entre les révolutions anglaise et française, parallèle qui permit à William Cobbett et à Robert Southey, par exemple, de préciser et de mûrir leurs propres idées politiques. Au cours du siècle, on voit aussi l’image de Cromwell se modifier: si elle reste dans l’ensemble très négative, Edmund Burke et William Godwin sont plus nuancés, ouvrant la voie à la réinterprétation complète de Carlyle, qui fit de Cromwell un emblème de la vertu. Michael Scrivener s’attache à la présentation par John Thelwall de la Révolution de 1649; Charlotte Sussman montre l’importance de la lecture féminine et explique comment, progressivement, les femmes cessèrent de prendre la parole en public; Jon Mee redonne vie à la figure jusqu’ici un peu fantomatique du radical et «enthousiaste» Richard Lee.

15On déplore deux graves erreurs: dans l’introduction (3), il est question du roi de Laputa, alors que les éditeurs devraient parler du roi de Brobdingnag de Gulliver’s Travels lorsqu’ils évoquent la gravure de James Gillray intitulée «A Connoisseur Examining a Cooper»; quant à Peter Kitson, à deux reprises (193) il situe la chute de Robespierre en 1795, ce qui invalide quelque peu sa lecture des hésitations idéologiques de John Thelwall. — Isabelle Bour (Université de Tours).

16Cet ouvrage, destiné au public universitaire, mais aussi à un public plus vaste, est une grande réussite, car il parvient à être clair, simple, passionnant et novateur à la fois. Certes, il y a eu bien des ouvrages sur les Lumières en Écosse, mais le livre d’Alexander Broadie se singularise en faisant une place plus large à la religion, à la science et aux fondements épistémologiques de la pensée écossaise. L’autre trait saillant du livre est sa volonté pédagogique: tous les concepts importants sont expliqués, et la réflexion est toujours graduée et cumulative; Alexander Broadie démontre ici l’intérêt méthodologique de sa discipline (il est professeur de logique et de rhétorique à l’université de Glasgow). Après un bref chapitre liminaire, le deuxième chapitre caractérise les Lumières en Écosse, les situe géographiquement et sociologiquement; les implications de la notion d’improvement dans divers domaines sont clairement analysées. Le chapitre suivant montre l’importance de la science historique: la sympathie est essentielle à sa réception, la conjecture à sa méthode, le cadre providentialiste à sa signification. La théorie du développement historique par stades successifs est novatrice en ce qu’elle lie explicitement le développement de la civilisation aux modes de production. Le quatrième chapitre, dont le thème principal est la réflexion sur la société civile, fait une large place à Adam Smith et Adam Ferguson. Vient ensuite un chapitre qui fait ressortir l’importance de la religion dans les Lumières écossaises — beaucoup des Literati étaient ministres de l’Église d’Écosse, et pour eux la tolérance était au cœur même de la diffusion des Lumières; la critique radicale de Hume dans les Dialogues Concerning Natural Religion n’était pas caractéristique de l’Écosse de son temps. Le chapitre consacré aux arts fait une large place à l’esthétique — aux idées de George Turnbull, Francis Hutcheson et David Hume. Le septième et dernier chapitre fait ressortir l’unité entre science de l’homme et science de la nature dans la pensée écossaise, attirant l’attention sur un texte peu connu d’Adam Smith, son History of Astronomy, qui montre le rôle des affects dans la découverte scientifique.

17Cet ouvrage, qui comprend onze planches, a sa place dans toutes les bibliographies de cours consacrés à la pensée et la culture écossaise. —Isabelle Bour (Université de Tours).

18Il existe un consensus parmi les critiques: Middlemarch est le plus grand roman de George Eliot. Beaucoup ajouteront même que c’est l’un des plus grands romans de la langue anglaise. Et pourtant le public francophone le connaît peu, faute d’une bonne traduction. Il convient donc de saluer comme un événement la publication, chez un éditeur qui lui assurera une large diffusion, de cette traduction signée par Sylvère Monod, éminent victorianiste et traducteur accompli. Il mobilise sa grande connaissance du xixesiècle anglais et du roman victorien pour éclairer le lecteur de ses annotations, apportant des lumières là où certaines éditions anglo-saxonnes récentes ne se donnent pas la peine de le renseigner, mais reconnaissant aussi ses dettes à l’égard de certains «éditeurs» qui l’ont précédé, comme Hornback (Norton) et Carroll (Clarendon), avec une honnêteté scrupuleuse qui n’est pas si courante. Il met aussi et surtout dans cette publication ses talents de traducteur qui ont fait merveille pour Dickens, Conrad et bien d’autres… D’où un texte qui restitue la prose de George Eliot dans toutes ses vibrations, ses complexités, et qui fait revivre ses dialogues, même les plus familiers, les plus populaires, avec une grande économie de moyens: un minimum de formes contractées, un mot habilement déformé par le parler provincial… Sylvère Monod a d’abord le souci de la fidélité: il sait, à l’occasion, se lancer dans une transposition qui s’éloigne de la formulation littérale pour mieux rester fidèle au sens.

19Voici donc enfin Middlemarch restitué, comme il ne l’avait jamais été dans les traductions précédentes, la première publiée par «M.-J. M.» chez Calmann Lévy en 1890, la deuxième par Albine Loisy chez Plon en 1951 et reprise par Christian Bourgois en 1981. La place manque ici pour entreprendre une analyse détaillée des mérites de cette traduction par rapport aux précédentes; cependant divers sondages viennent confirmer l’impression première: elle s’en distingue très avantageusem*nt. Il est difficile, sur une longueur d’environ 1100 pages, de ne pas proposer des traductions qu’un autre lecteur pourrait concevoir différemment. Mais les rarissimes désaccords ponctuels n’existent plus devant l’admiration globale que suscite ce travail monumental. Sur un point de détail, on se demande s’il n’y aurait pas, même chez ce traducteur chevronné, une vigilance insuffisante, puisque l’oncle de Dorothea, M.Brooke, porte tantôt des lunettes (88), tantôt un binocle (643, 670, 673), tantôt un monocle (516). En fait, un examen plus attentif du texte de George Eliot dans l’édition Clarendon montre que la romancière elle-même hésitait, du manuscrit à la première édition, puis à la troisième, revue et corrigée, entre «eye-glass», «eye-glasses» et même «glasses». La question demeure donc ouverte et ne manquera pas d’inspirer un jour un article passionnant dans Notes and Queries qui nous apprendra enfin quel type de verres correcteurs et de monture portait effectivement M.Brooke. Pour l’instant, contentons-nous de constater que sa vision du réel manque singulièrement de netteté…

20L’édition comporte un beau dossier avec une chronologie, une notice sur la composition et la publication du roman, ses sources, son accueil au fil des années et quelques pistes critiques. La note bibliographique est utile, mais elle mériterait une petite mise à jour, conséquence probable du retard que l’éditeur a apporté à la publication de ce travail, réalisé depuis quelque temps déjà. Enfin, l’une des originalités de cette édition, c’est que sa préface n’est pas signée par le traducteur, comme c’est l’usage dans cette collection, mais par Virginia Woolf. Dans un article publié dans le TLS en 1919, à l’occasion du centenaire de la naissance de l’auteur de Middlemarch, et repris dans The Common Reader en 1925, Virginia Woolf exprime chaleureusem*nt son admiration pour George Eliot, d’autant plus émouvante qu’à l’époque s’affirme souvent une puissante réaction contre les valeurs victoriennes et, en littérature, contre les gros romans réalistes si prisés des Victoriens. Alors que ses contemporains préfèrent en général les romans éliotiens de la première période, si chargés de souvenirs personnels, Virginia Woolf fait preuve d’un rare discernement en voyant en Middlemarch le sommet de l’œuvre. Elle reconnaît que la brume du souvenir s’y dissipe peu à peu. Toutefois, «cela ne veut pas dire que les facultés de l’auteur diminuent, car, à notre avis, elles atteignent leur zénith dans la maturité de Middlemarch, ce livre magnifique qui, malgré toutes ses imperfections, est l’un des rares romans anglais écrits pour des adultes» (15). On ne saurait imaginer meilleure recommandation pour ce roman, présenté ici dans une édition-traduction particulièrement recommandable. — Alain Jumeau (Université de Paris IV).

21Dans ce livre intéressant et fort original, Gail Turley Houston fait preuve d’un savoir considérable et varié. Elle mène de front un historique de l’évolution économique et financière de la Grande-Bretagne pendant une grande partie du xixesiècle, et l’étude du reflet de ces phénomènes dans quatre romans importants. Si le lecteur moyen s’attendait à rencontrer dans un tel ouvrage Little Dorrit (avec, entre autres, la faillite retentissante de M.Merdle le bien nommé) et Dr Jekyll and Mr Hyde où un banquier figure avec insistance au premier plan, il sera plus surpris de découvrir que l’auteur de Villette était obsédée par les problèmes financiers, ou que dans Dracula la circulation du sang ne compte pas plus que celle de l’argent. Surpris, oui, mais dans l’ensemble convaincu, tant les arguments avancés paraissent solides. On pourra n’être pas enchanté par certaines formes d’expression «modernes» (les emotes et les elocutes) ou par un surprenant egress into, mais dans l’ensemble l’auteur écrit avec soin et clarté. Son idée de base est que le gothique en littérature reflète et permet d’évaluer la panique créée par l’instabilité de l’économie victorienne. Elle souligne le passage de economy (réalité domestique ou familiale) à economics. Elle cite John Vernon affirmant que «the conventions of paper money and the conventions of realistic fiction constitute a code collectively shared» (6). Elle souligne l’importance de la loi de 1844 (Bank Act) qui accélère la bankerization de la vie anglaise. Usant de rafales de citations des travaux antérieurs (y compris, inter multa, ceux de F.Crouzet), elle étudie les crises successives, que leur caractère cyclique fait paraître presque normales à certains analystes. Bref, il existe maintes causes de panique, et on voit se développer une sorte de peur de la panique.

22Les positions de Bagehot, Marx, J.S. Mill, lord Overstone, sont définies avec précision. Puis Houston livre un chapitre sur chacun des romans qu’elle étudie; ces analyses sont très bien faites et permettent de situer chaque ouvrage dans le cadre économique de sa période. À propos de Villette, on découvre que Charlotte Brontë était concernée par la spéculation ferroviaire et «the Railway Panic», qu’Emily était plus compétente que sa sœur, et que leur père tenait ses comptes… à sa manière, passablement singulière. À Little Dorrit Houston rattache un article de Household Words; elle scrute l’attitude de Dickens envers l’argent et la banque. Stevenson apparaît comme obsédé par le besoin d’argent; Houston insiste sur le lien entre psychologie moderne et économie capitaliste; elle s’intéresse beaucoup aux rêves (ceux d’Affery dans Dorrit, ceux de Stevenson inspirant ses récits); elle met en lumière la signification du chèque que produit Hyde. Dans son dernier chapitre l’auteur paraît prendre Dracula terriblement au sérieux et s’émerveille de la parenté entre la «corporate personality» de Dracula et celle de la banque.

23Même quand elle n’emporte pas la conviction sans réserve sur certains points précis, Gail Turley Houston suscitera l’intérêt de tous ses lecteurs et l’admiration pour l’étendue de ses connaissances, son intelligence et son ingéniosité. Les littéraires «purs» ont beaucoup à apprendre d’elle. — Sylvère Monod † (Université de Paris III).

24Pour aborder l’étude des romanciers victoriens, auxquels tant d’ouvrages ont été déjà consacrés, les spécialistes cherchent aujourd’hui un angle d’attaque particulier; ce fut le cas récemment pour les odeurs; ici il s’agit de la contagion. Christensen aborde son sujet avec une remarquable compétence et rend accessible un ensemble de connaissances imposant, fondé sur une documentation de tout premier ordre concernant l’histoire médicale du xixesiècle. On peut en outre l’admirer pour sa manière de mener en quelque sorte un attelage à huit chevaux avec une extrême adresse; il parvient à traiter de la contagion dans huit romans sans jamais tomber dans la monotonie d’un ordre constant qui aurait si facilement pu devenir fastidieuse. Il ne se borne d’ailleurs pas au commentaire des huit romans inscrits au programme; l’auteur manifeste sa familiarité avec plusieurs autres textes utiles à évoquer pour compléter son panorama. On doit aussi lui savoir gré de ne pas s’être cantonné à l’étude des œuvres les plus universellement célèbres: il parle certes de Bleak House, de Ruth, de Two years Ago; mais il s’intéresse aussi à des romans de Bulwer Lytton, d’Ainsworth, de Giovanni Ruffini (Lavinia, 1860). À quoi il ajoute un roman italien, I promessi sposi (1840) de Manzoni, et un roman français, Le Docteur Pascal (1893) de Zola. Christensen pèche peut-être par excès d’optimisme en présumant que ses lecteurs savent l’italien et le français aussi bien que l’anglais: en tout cas il cite Manzoni et Zola dans le texte original. Peut-être sa propre familiarité avec notre langue explique-t-elle sa prédilection pour des mots surprenants comme constative, constatively, constatate et effectuate. Ce serait un cas de contagion ou de contamination à ajouter à ceux dont parlent les romans étudiés par l’auteur.

25L’autre réserve qu’inspire ce bel ouvrage est précisément la prolifération des contagions; Christensen commence par parler d’épidémies et de contamination microbienne. Mais il passe ensuite à des usages multiples, souvent métaphoriques, des mêmes mots; on s’éloigne ainsi de ce qu’on croyait être le sujet du livre pour aborder de tout autres phénomènes. On peut déjà éprouver quelque surprise en lisant que «the atmosphere of the Contagious Diseases Act contaminates Great Expectations» (5). Très vite il sera question de «moral contagion» (13); on lit plus loin que «The devil is involved in the contagion of waste» (57); la mode (fashion) est qualifiée de «system of contagion» (107); citons encore «The identification of love as a contagious disease» (156), «the contagious power of his will» (163), «a benign contagion that radiates from its pages» (201, il s’agit de la Bible), etc. Ce procédé n’est pas inacceptable en lui-même, loin de là (parler de «Chancery contagion» dans le cas de Richard Carstone semble pleinement justifié), mais en définitive il permet à l’auteur de commenter à peu près tous les thèmes principaux de ce qu’il appelle «our novels»: les armes, la couture, les relations familiales, l’écriture, la lecture, le langage et le chant, et l’argent. Il le fait avec un grand talent et un sens littéraire aiguisé. On peut se demander si l’ouvrage conserve bien un seul sujet central et reste fidèle à son titre. Mais après tout, ce qui importe le plus est qu’on le lise avec plaisir et profit, ce qui, sans conteste, est bien le cas. — Sylvère Monod† (Université de Paris III).

26Walter Pater (1839-1894) ne fait pas partie de ces «éminents Victoriens», romanciers, prosateurs ou poètes, qui reçoivent de la critique un hommage constant et empressé. Ce spécialiste d’histoire de l’art est d’ailleurs moins connu pour ses œuvres que pour l’impact qu’elles ont eu sur leur époque. Les histoires littéraires le présentent essentiellement comme l’auteur d’un ouvrage sur La Renaissance (1873), dont la conclusion, par son credo épicurien, a inspiré toute une génération d’écrivains «esthètes», et notamment Oscar Wilde, qui résumait sa dette envers ce prestigieux don de Brasenose (Oxford) par la formuleplaisante: «Il n’y a d’autre Pater que Pater, et Oscar Wilde est son prophète». Pourtant, il ne manque pas de travaux sur Pater pour faire comprendre que l’importance de cet écrivain ne se réduit pas à ce rôle, somme toute limité. Et c’est l’honneur de l’école française de tenir une place de choix dans la critique paterienne. Cette situation doit beaucoup à la thèse de Germain d’Hangest (Walter Pater, l’homme et l’œuvre, 2 vol., Paris: Didier, 1961), qui a ouvert la voie, servi de référence, et inspiré plusieurs jeunes chercheurs. C’est à cette nouvelle génération qu’appartient Martine Lambert, qui souligne l’importance, dans l’œuvre de Pater, des «portraits imaginaires», auxquels elle consacre un ouvrage de bonne taille. Il s’agit, avec des traductions souvent originales, d’une version remaniée de sa thèse, qui avait retenu l’attention de son jury par son érudition, son originalité et son utilisation de manuscrits non publiés. Le plan retenu garde encore la marque de la thèse, jusque dans la dernière partie (qui n’était peut-être pas indispensable ici), où l’on voit comment, avec ce genre nouveau du «portrait imaginaire», Pater a eu divers héritiers qui ont réinterprété le genre à leur manière: Vernon Lee, Arthur Symons, Ernest Dowson, John Millington Synge, Maurice Hewlett…

27Les différents «portraits imaginaires» de Pater présentés ici appartiennent au recueil Imaginary Portraits qu’il a publié en 1887, mais aussi à des manuscrits conservés à Harvard (Houghton Library). Ils incluent également son roman Marius the Epicurean, et aussi Gaston de Latour: An Unfinished Romance, conçu comme la seconde partie d’une trilogie dont Marius était la première. Cette place reconnue à Marius dans ce genre nous aide à en proposer une définition. Les «portraits imaginaires» sont des ouvrages de fiction, d’une longueur variable, allant de la simple nouvelle au roman, présentant des personnages réels ou fictifs situés à divers moments de l’histoire culturelle, artistique et idéologique de l’Occident, depuis la Grèce antique, l’Empire romain jusqu’à l’Allemagne des Lumières, en passant par la Renaissance italienne, française, les Pays-Bas des peintres et des philosophes… On y retrouve donc l’influence d’un genre dominant au xixesiècle, le roman historique, qui se trouve transfiguré en fait. Car la documentation, qui est ici remarquable, joue un rôle secondaire par rapport à la découverte de soi à travers des doubles imaginaires, qui permettent de revenir aux sensations de l’enfance, aux tentations de l’adolescence — Proust avait lu Pater en traduction (42) —, et de réfléchir aux choix éthiques et philosophiques qui s’imposent à l’adulte. Beaucoup de ces portraits s’apparentent au Bildungsroman, autre genre qui a beaucoup inspiré le xixesiècle. Mais derrière le double voile de l’histoire et de l’autobiographie fictive, il est possible de discerner les préoccupations propres à Pater à la fin du xixesiècle. Confessions déguisées, ces «portraits imaginaires» permettent en effet à Pater de dialoguer avec lui-même, comme le fait, dans ses Essais, son maître Montaigne. Ils lui permettent aussi, indirectement, de réfléchir aux valeurs qui se présentent à lui comme à son personnage Marius, écartelé entre stoïcisme, épicurisme et christianisme, l’idéal chrétien gardant sa noblesse, sans que Pater puisse y adhérerpleinement (181).

28La lecture de l’ouvrage de Martine Lambert est instructive et stimulante: elle nous montre la richesse d’un auteur d’une grande culture, son interrogation constante devant les valeurs et son besoin de lucidité à l’égard de lui-même, fût-ce à travers des stratégies complexes d’indirection et d’analogie. Elle définit justement les «portraits imaginaires» comme autant de voyages au cœur de l’histoire, de la pensée et de l’esthétique de notre monde occidental. À condition de percer certains voiles, ce sont aussi des voyages au cœur des pensées secrètes d’un homme incarnant son époque, qui apparaît ici plus proche, jusque dans son dialogue avec différentes formes de pensée, qui sont autant d’images du Zeitgeist victorien. Pater échappe cependant à toute définition — malgré le désir des historiens de la littérature de tout classifier et de tout schématiser. Et pourtant Martine Lambert n’est pas loin de nous offrir une clef de lecture possible lorsqu’elle nous propose un parallèle éclairant entre Pater et Ruskin. Elle voit en Ruskin un rival de Pater dans le domaine de la critique d’art, puisque c’est lui qui est titulaire de la chaire d’histoire de l’art à Oxford, que Pater convoitait. Elle constate qu’ils sont tous deux animés d’un même enthousiasme à l’égard du Moyen Âge, mais qu’ils s’opposent au sujet du gothique: «le gothique n’est pas seulement pour Pater l’expression de la foi chrétienne: il est aussi l’image du retour au paganisme» (136). Pour avoir pressenti cette évolution, Pater pourrait bien apparaître en définitive comme le plus moderne des deux. — Alain Jumeau (Université de ParisIV).

29Un volume aussi imposant, aussi riche, publié dans une série aussi prestigieuse, défie par définition le compte rendu. Comment rendre compte d’une telle somme, d’une telle diversité d’approches, avec près de quarante-quatre contributeurs? Une première réponse consiste à énumérer le sommaire. Cette histoire monumentale est divisée en cinq parties: «Writing Modernity», «The Emerging Avant-Garde», «Modernism and Its Aftermath, 1918-1945», «Post-War Cultures, 1945-1970», «Towards the Millennium, 1970-2000», sans compter une très importante Bibliographie et un Index, soit près de quarante pages. Si dans un deuxième temps on entre de plus près dans ce sommaire, on aperçoit aussitôt un parti pris qui fait toute la richesse de l’entreprise dirigée par Laura Marcus et Peter Nicholls, tous deux professeurs à l’Université du Sussex, et co-directeurs du Centre for Modernist Studies. Par rapport aux histoires de la littérature traditionnelles — en tout cas, ce que l’on entend par là souvent en France —, on voit bien que la notion même de «littérature» éclate aux entournures pour dialoguer avec le cinéma (ainsi Laura Marcus, III, 19: «Literature and cinema»), les techniques de diffusion (Keith Williams, IV, 26: «Post-war broadcast drama») et, plus généralement, la culture au sens large du terme. Ainsi, l’article de John Lucas intitulé «The sixties: realism and experiment» (IV, 30) commence par évoquer une exposition de 2002 au Barbican intitulée Transition: The London Art in the Fifties, et la figure emblématique de David Hockney pour comprendre la période. C’est après seulement que viendront les poèmes de G.S. Fraser. Nombreux sont les articles ici rassemblés qui ont le grand mérite de planter le décor ou le paysage dans lequel apparaît le texte littéraire, et non de partir du texte dans son rapport avec un soi-disant contexte relégué à l’arrière-plan. Cette History of Twentieth-Century Literature est donc aussi, et peut-être avant tout, une formidable histoire culturelle du siècle anglais tout entier. On remarquera ainsi des textes passionnants sur le mouvement moderniste et la métropole de Londres (Peter Brooker), sur la Littérature et la Première Guerre mondiale (Vincent Sherry), ainsi que sur la Seconde (Adam Piette, Michael North), notamment à travers le motif de la ville en ruines, auquel le cinéma de l’époque s’est également intéressé. L’article intitulé «Trauma and war memory» (III, 10) de Deborah Parsons, où les noms de Ford Madox Ford, de Robert Graves et de Virginia Woolf sont bien sûr cités, permet d’envisager la littérature des années 1915-1925 sous l’angle de la fragmentation, de la mémoire traumatisée, ou de l’aphasie. C’est tout un pan littéraire qui s’offre alors à l’analyse, en intégrant les apports de la psychanalyse. L’article «Psychoanalysis and literature» (III, 15) de Lyndsey Stonebridge, placé après dans le volume, apparaît alors dans toute sa légitimité: on notera qu’il commence par la phrase prometteuse «In January 1939, Sigmund Freud presented Virginia Woolf with a narcissus» (269), preuve s’il en était besoin que l’écriture académique n’est pas sans saveur. L’article, qui évoque brillamment «Bloomsbury Freud», fait le lien avec le précédent en évoquant «war-panic, overstrain, insomnia and every form of war disaster» (274). De ce vaste panorama, il apparaît, d’une manière générale, que la littérature anglaise, dans toutes ses composantes (prose, poésie, théâtre, biographie et autobiographie, etc.) semble plus en prise avec le siècle que la littérature française de la même période. Là où la France sartrienne des années 50 découvre la littérature «engagée» en pensant la littérature par rapport au politique, la littérature anglaise, dès avant la guerre de 14, découvre l’engagement comme insertion du littéraire dans le monde tel qu’il est, et pas seulement tel qu’il pourrait être. On connaît la fameuse formule de Virginia Woolf: «On or about December 1910, human character changed». T.S. Eliot, D.H. Lawrence, James Joyce, Ford Madox Ford (notamment comme rédacteur en chef de The English Review) ou Virginia Woolf (romancière, mais aussi responsable de la Hogarth Press) sont bien sûr ici les capteurs les plus éminents de cette nouvelle sensibilité moderne, les peintres de ce nouveau paysage dévasté, mais beaucoup d’autres noms apparaissent dans cette fresque. Il s’agit bien, comme le fait Michael Levenson, de cerner un Zeitgeist, celui par exemple des années vingt («The time-mind of the twenties», III, 11). Avec ces écrivains obsédés par la datation, rien de plus légitime, chez les contributeurs, que ce souci permanent d’historiciser, ce que les Français ont souvent peine à faire. Ainsi l’article de David Bradshaw intitulé «Modern life: fiction and satire» (III, 12) part de Wyndham Lewis et de The Apes of God (1930) pour aller vers Huxley et Waugh, mais aussi Henry Green, Compton-Burnett, ou Cyril Connolly, afin d’explorer le paysage satirique anglais de l’entre-deux-guerres.

30Une autre tendance émerge ici, qui consiste à insérer l’objet littéraire dans son contexte de consommation et de production. Des articles comme ceux de Paul Edwards («Futurism, literature and the market», II, 8) ou de David Glover («“Speed, violence, women, America”: popular fictions», III, 17) replacent les mouvements et les œuvres par rapport au lectorat et au marché. Glover, notamment, évoque la vogue des magazines policiers ou de science-fiction dans les liens tissés entre les romanciers et leur public. Les romancières ont ici pleinement leur place, depuis Agatha Christie jusqu’à Dorothy L.Sayers, dont on sait le rôle essentiel qu’elle a eu, aussi, dans la critique du genre. Le nom d’Edgar Wallace, l’auteur des Four Just Men (1905), est dûment cité comme prototype d’un romancier nouveau, journaliste de profession, capable d’écrire un roman de 70000 mots en un week-end. Les noms de Maugham ou de Greene apparaissent aussi comme auteurs de romans d’espionnage, signe que les frontières entre littérature élitiste et littérature populaire tendent à s’estomper dans ces années 20-30 où les plus grands romanciers anglais s’essaient, dans la lignée de sir Arthur Conan Doyle — qui bien que leur contemporain, semble appartenir à une autre époque —, au roman de mystère.

31Les champs culturels sont ici tellement vastes que l’approche retenue est celle de la pluralité d’études critiques. Pointe alors un double risque, sans doute inévitable. La question de la cohérence d’ensemble se pose dès lors qu’on se demande comment quarante-quatre contributeurs peuvent faire œuvre commune d’historiens de la littérature, depuis la fin-de-siècle victorienne jusqu’aux rapports entre littérature et technologie digitale… À cette réserve, on peut répondre en disant qu’à champ éclaté, méthode éclatée: dès lors que la seule littérature n’est pas le champ unique stricto sensu — mais existe-t-il? — de l’étude, la fragmentation est de mise. Au lecteur de faire lui-même les recoupements, de tisser les fils, ne serait-ce qu’en suivant l’impressionnant Index, qui inclut les noms, les titres d’ouvrages, et les notions. L’une des manières d’entrer dans cet ouvrage sans s’y perdre est d’utiliser l’Index comme fil directeur. L’autre danger est celui d’une approche politiquement correcte, qui cherche à ne rien oublier, à ne froisser aucune communauté, aucune région, aucune minorité, aucun courant de la théorie littéraire. Le danger existe, que reflète le découpage en territoires. Pourtant, ce reproche s’estompe grâce au souci permanent de cadrer telle zone ou tel espace littéraire par des marqueurs temporels. Il fallait ainsi, au risque de raisonner en terme d’identité, faire le point sur les nouvelles littératures écossaises, galloises et irlandaises. Historiciser par l’espace, spatialiser par le temps: de nouvelles lignes de forces ou de fractures, de nouvelles cartographies émergent alors. C’est le cas par exemple de «Poetry after 1970», de Peter Middleton (V, 43), qui balaye le terrain des anthologies et des revues de poésie, si importantes, comme on le sait, dans l’élan créateur de la poésie Outre-Manche, ce que Simon Armitage et Robert Crawford appellent joliment «this cluster of islands». De nouveaux promontoires et archipels se dessinent.

32Par son érudition sans faille, sa précision, par l’étendue des champs traités, sa hauteur de vue, et les risques assumés, ce livre monumental devrait vite s’imposer comme référence indispensable. Parce qu’il est, précisément, éclaté, «étoilé», dirait Barthes, et qu’il ne cède pas à la tentation d’une totalisation impossible, cet ouvrage d’apparence massive et labyrinthique s’avère en réalité très maniable, offrant de multiples entrées aux chercheurs et aux étudiants désireux de mettre en perspective cette littérature d’un siècle qui n’est déjà plus le nôtre. — Jean-Pierre Naugrette (Université de Paris III).

33G.B. Shaw se voulait homme d’action. Il le fut au travers de ses pièces et essais, autant qu’au travers de son engagement au sein de la Société Fabienne. Le théâtre de Shaw vient souvent en illustration d’une réflexion politique et sociale, comme si les deux aspects de l’œuvre étaient indissociables. Judith Evans se propose d’éclairer cette proximité, en mettant systématiquement en miroir l’œuvre théâtrale et l’œuvre politique.

34Organisé de façon chronologique, l’ouvrage est divisé en quatre parties correspondant chacune à une période de la vie de Shaw. La première partie intitulée «Politics and the Playhouse» couvre les années 1876 à 1911. Souvent à la limite de l’inventaire, l’auteur passe en revue des pièces comme Mrs Warren’s Profession, Candida et Man and Superman ainsi que les essais publiés pour la Fabian Society: Fabian Essays in Socialism, the Quintessence of Ibsenism. Dans la deuxième partie, l’auteur traite des écrits de Shaw pendant la Première Guerre mondiale, adoptant un découpage temporel très personnel, courant de 1912 à 1919. S’y succèdent sans transition des opus aussi différents que What I Really Wrote About the War, collection d’articles de réflexion sur la guerre, et Pygmalion. Les deux dernières séquences sont beaucoup plus courtes: la troisième partie couvre la période 1920-1939, avec une pièce comme Saint Joan; la quatrième partie aborde sur quelques pages les dernières œuvres de celui qui est alors décrit comme un «Sage».

35Agréable à lire, cet ouvrage est également facile à consulter. Il constitue à n’en pas douter un memento utile pour tout ceux qui voudraient balayer rapidement les grandes étapes de l’œuvre shavienne. L’auteur nous offre par ailleurs des résumés détaillés de chaque pièce ou essai abordé. Là réside pourtant la limite de l’exercice. L’absence de mise en perspective critique constitue sans doute la faiblesse la plus dirimante. De son propre aveu, l’auteur se contente de résumer écrits politiques et pièces de théâtre «cheek by jowl». Une aide appréciable, mais qui ne remplacera évidemment jamais une lecture de première main. — Florence Piquemal (Université de Strasbourg).

36Le volume présenté par Françoise Clary est issu du colloque ERAC-CETAS de l’université de Rouen. Il propose dix articles de spécialistes dans des domaines très divers, historiens constitutionnalistes, spécialistes des médias, etc. Dès l’introduction, F. Clary pose la problématique de l’ouvrage qui n’est autre que d’interroger le statut de l’image et de l’information. La mondialisation, la marchandisation conduisent-elles inéluctablement vers l’hégémonie d’une culture dominante américaine? Denis Retaillé consacre sa réflexion au National Geographic et à la nation-paysage pour conclure à un épuisem*nt progressif du sens de l’image, due à une immédiateté de plus en plus prégnante. L’article de François Brunet repose sur une étude extrêmement minutieuse des reliures de la revue Scientific American. Richement illustré, il décortique le mode de fonctionnement du frontispice jusqu’à sa disparition et son remplacement par l’image. Jean Tulard évoque avec nostalgie le cinéphile-limier des années 60, toujours en quête des films les plus rares, et pas nécessairement les meilleurs, pour conclure sur une note aux accents de Brassens chantant Villon: «Mais où sont les cinéphiles d’antan». Pierre Sicard pose la question centrale du rôle de la presse dans une société dominée par les valeurs mercantiles. Comment concilier la mission républicaine des organes de presse avec les impératifs du marché? La tension est vive en effet entre logique libérale et devoir civique et c’est avec une pointe d’amertume que l’auteur peut déplorer la disparition de journalistes de la trempe d’Edward Murrow. La conclusion de Francis Bordat du tableau qu’il dresse du cinéma américain est quant à elle nettement plus optimiste. Certes, la structure commerciale du film influence la nature même de la production, mais malgré tout, il est d’excellentes raisons de ne pas désespérer de la production hollywoodienne. Forrest Gump, sous la plume de Dominique Sipière, illustre justement ce «récit hollywoodien classique» dont les mécanismes sont finement analysés, notamment par une comparaison avec le roman de Winston Groom et sa transposition filmique. Entre haine du film, pour laquelle Sipière relève de solides arguments, et admiration, l’auteur penche nettement pour la seconde, en raison du jeu subtil des métaphores, d’une philosophie du compromis proposée par le film et de la simple beauté esthétique des images projetées. Dans son article sur la presse comme quatrième pouvoir, Vincent Michelot s’interroge justement sur le véritable pouvoir de la presse américaine au travers de deux arrêts historiques de la Cour Suprême (New York Times vs Sullivan et New York Times vs U.S.). Son propos est centré essentiellement sur le maccarthysme et la démonstration est convaincante qui atteste que l’on a pu exagérer l’influence réelle d’un Murrow dans la chute du sénateur du Wisconsin. Par ailleurs, la Cour a sérieusem*nt élargi le champ de compétences de la presse dans l’affaire du Watergate et donc donné une nouvelle chair à la res publica. Jean-Paul Gabilliet s’attelle à la lourde tâche d’analyser les relations entre la présidence et la presse, de Truman à Carter. Une rupture est, selon lui, intervenue sous la présidence Reagan où la communication a pris un tour nouveau et où la manipulation des médias a atteint un niveau jusque là inégalé. Plus généralement, Gabilliet souligne le paradoxe inhérent à la fonction, puisque le président s’attache à apparaître comme le commun des mortels pour s’attirer l’approbation du peuple et ce faisant, se soumet aux codes et règles de l’homme ordinaire, devenant ainsi la proie facile des journalistes. Violemment et délibérément provocateur est l’article de Daniel Royot, revenant sur la tendance lourde de la presse française à l’antiaméricanisme pour se concentrer ensuite sur la «clintonmania» à la française. Parmi les défauts adressés par les donneurs de leçons hexagonaux, le puritanisme américain qui s’emballe et traîne dans la boue un Clinton victime expiatoire des travers d’une Amérique bien pensante à laquelle la France oppose son exception culturelle. Françoise Clary clôt ce volume par une analyse très précise et fouillée de la presse noire actuelle, resituée dans son contexte historique, en mettant l’accent sur la pénétration récente de l’islamisme. L’article souligne les difficultés dans lesquelles se débat la presse mainstream pour rendre compte de l’existence et des desiderata de cette fraction de la population. — Gérard Hugues (Université de Nice).

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Author: Arielle Torp

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Address: 87313 Erdman Vista, North Dustinborough, WA 37563

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Job: Central Technology Officer

Hobby: Taekwondo, Macrame, Foreign language learning, Kite flying, Cooking, Skiing, Computer programming

Introduction: My name is Arielle Torp, I am a comfortable, kind, zealous, lovely, jolly, colorful, adventurous person who loves writing and wants to share my knowledge and understanding with you.